oups, I did it again Ω Tristan

Il est très précisément onze heures et quinze minutes, par un beau dimanche déjà ensoleillé. Vera est installée en équilibre sur un tabouret haut de ceux qui bordent le petit snack qui sépare la cuisine du salon, et elle feuillète le journal du jour, cheveux tirés en arrière dans un chignon négligé. Elle attend. Elle attend faiblement d'entendre du bruit dans la chambre de Tristan - signe sans équivoque que la population y dormant en ce moment même est réveillée. Sa main libre, celle qui ne monte pas jusqu'à ses lèvres pour qu'elle humidifie ses doigts pour tourner les pages du journal, pianote sur le plan de travail à un rythme régulier et rapide, que l'on pourrait aisément traduire comme de l'agacement - mais elle, elle vous dirait simplement que c'est un tic. Oh, elle va s'amuser. Parce qu'il n'y a aucune raison pour qu'elle ait passé sa soirée de samedi soir seule, avec un gigantesque pot de glace Ben&Jerry's, une bouteille de vin, et le DVD du premier Bridget Jones, pendant que Monsieur s'amusait dehors et rentrait accompagné. Après l'échec cuisant de sa dernière relation avec Ajit - la relation en question ayant duré trois jours, six heures, et quinze minutes - il aurait pu au moins faire semblant d'être solidaire. Mais non.

Enfin, du bruit. Il est onze heures dix-sept, et elle referme le journal d'un geste brusque en sautant de son tabouret pour courir jusqu'à la salle de bain où elle s'enferme. Elle s'assoit sur le bord de la baignoire et attrape le tube de son masque en argile préféré, non sans avoir passé un bandeau pour protéger ses cheveux. Elle s'étale le masque sur la figure, en couches généreuses, et patiente jusqu'à entendre la porte de la tanière s'ouvrir. Chouette. Dans moins de trente secondes, ils seront tous les deux dans la cuisine - et si Tristan ne fait pas le goujat, il proposera au moins un café à l'écervelée ramenée ici. Vera saute sur ses pieds et se précipite vers la porte, tâchant d'avoir l'air totalement naturel et totalement surprise de les trouver là tous les deux quand elle gagne la cuisine. Oh, Pumpkin, désolée ! elle s'exclame en lui offrant un sourire colgate - qui effrite un peu l'argile, en train de sécher sur son visage. Je ne savais pas que tu avais du monde, elle poursuit en s'approchant. Elle se hisse sur la pointe des pieds pour claquer une bise sur la joue de Tristan - on a pas idée d'être aussi grand. Vera, enchantée. C'est moi qui habite la chambre là, elle précise en pointant une porte du doigt. Oublie pas que mes parents viennent dîner, ce soir. Vera jubile en voyant la tête de la blonde en face qui se décompose au fur et à mesure, et en moins de temps encore qu'elle ne l'aurait parié, voilà la conquête qui se lève et s'excuse - elle va y aller, finalement. Vera referme un peu les pans de son peignoir - laissés lâches de manière un peu trop suggestive - et attrape le lait dans le frigidaire. T'as passé une bonne soirée ? elle demande, sarcastique - un peu. Amusée, aussi. Fière.

Tristan n'est pas un type très matinal. Par essence le matin le fait bien chier, et ce n'est d'ailleurs pas rare qu'il fasse poireauter ses élèves au moyen d'une excuse bidon lorsque l'administration le contraint à bosser avant dix-heures. Par chance les quelques nuits blanches passées à rédiger des mémoires et autre conneries pseudo intellectuelles lui ont permis de ne pas s'emmerder à jouer les zombies devant une classe d'ado boutonneux en crise dès 8h du matin. Pas sûr qu'il l'aurait supporté de toute façon, pas avec un tel mode de vie. A maintenant 35ans,  le professeur de théâtre passe tragiquement beaucoup plus de temps à boire des verres en charmante compagnie qu'à bosser le contenu ses cours pour le lendemain. Si par chance sa matière laisse une place de choix à l'improvisation, il s'est pas mal de fois fait réprimander par ses supérieurs pour ses retards répétés et son évidente désorganisation. Si il s'en sort, ce n'est qu'une question d'attitude, de personnalité. Il fait partie de ces personnes que l'on adore détester, pour qui tout semble se concrétiser un peu trop parfaitement. Dans la réalité, sa vie personnelle est un chaos sans nom, mais ce n'est pas vraiment ce qui intéresse les jolies filles qui échouent dans sa chambre. Tristan est un beau parleur, un homme de la nuit. Un homme qui écrase présentement son réveil en ronchonnant comme un adolescent qu'on essaierait de tirer du lit.

Il a besoin de café. Un expresso. Deux expresso. Le mal de crâne l'empêche de compter correctement. Il s'échappe de sa chambre mal coiffé et à côté de ses pompes. Le mode pilote automatique le mène jusqu'à la cafetière, là ou il trouve la jolie demoiselle d'hier et Vera. La brune qui est en pleine forme en comparaison, sublime dans son splendide masque à l'argile, se permet évidemment de le chambrer en plus d'anéantir ses chances de revoir la jolie blonde d'hier. Par dessus tout, elle lui rappelle la visite de ses parents, détail que son propre inconscient avait décidé de mettre dans un espace sombre et inutilisé de sa mémoire de poisson rouge. « Ah. » S'exclame alors Tristan, tel un célèbre présentateur télé français. « Je crois que j'avais légèrement oublié ce détail. » En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, la jeune femme qui occupait son lit il y a encore quelques minutes s'excuse sous son regard... décaféiné. « Je t’appellerai. » Il ajoute plus pour la forme qu'autre chose avant de se jeter sur la cafetière. Ce n'est pas comme si il les revoyait souvent de toute évidence. La porte claque invévitablement. Il ne l’appellera pas, elle l'a bien compris. « Je vais donc avoir droit aux sales remarques de ta mère toute la soirée ? Je devrais peut être aller dormir deux heures de plus. Je ne suis pas prêt pour ça. Qui serait prêt pour ça ? La soirée était cool sinon ! »

La soirée était cool sinon. Vera lève un peu les yeux au ciel et, maintenant qu'elle est débarrassée de la conquête blonde, se décide à être un peu plus aimable. Elle remet du café dans la cafetière et lui sort une tasse, et du jus de fruit frais du frigo. Tiens, elle lance. A en croire ta tête, la blonde n'est pas la seule chose que tu as consommé sans modération hier, elle réplique, amusé, en sautant à nouveau sur le siège pour s'y installer. Elle n'est pas mécontente de son petit effet d'entrée, elle doit bien l'admettre. Elle sait qu'une nana expédiée aussi tôt dans la matinée ne reviendra pas. Il ne la rappellera pas. Ce n'est qu'un coup occasionnel - et quelque part, ça rassure Vera. Ce qui l'inquiète, ce sont ces filles qui ont soudainement l'air de s'incruster. Et elle ne s'inquiète évidemment que parce qu'aucune d'entre elles ne semble assez bien pour lui. Evidemment. Cool, alors, elle réplique en haussant une épaule tandis qu'elle se remémore sa soirée à elle, à errer entre le canapé et la baignoire. Pas qu'elle ait particulièrement envie de sortir - elle est épuisée, de toute façon, ses semaines bien remplies l'empêchent de se reposer comme elle le devrait.

Ne commence pas, avec Maman, l'avertit-elle ensuite en tentant d'arborer un air sévère qui est un échec cuisant en raison de l'argile vert qui recouvre son visage comme elle parle. Elle ne fera aucune remarque désagréable, sa seule préoccupation, c'est de vouloir le mieux pour moi. Je suis sûre qu'au fond, elle t'apprécie... elle enchaîne, ne pouvant retenir une grimace cette fois. Elle sait que c'est un mensonge. Elena Gardner ne supporte pas l'idée que sa fille chérie partage une colocation avec un homme qui ne s'est toujours pas posé pour construire une famille à trente ans, ce qui est profondément injuste car elle n'est pas plus cheffe de famille que lui à ce stade de leurs vies. Bon, d'accord, elle est pénible. Mais juste ce soir, d'accord ? J'ai toujours bon espoir que tu réussisses un jour à lui faire bonne impression pour qu'elle arrête de me harceler avec tous ces appartements formidables que je pourrais trouver ailleurs, elle poursuit, et toi, tu as tout intérêt à ce que je reste ici, pas vrai ? Sourire colgate, cet argument va sans doute beaucoup mieux marcher.

La modération ? Tristan ne la connaît pas. Habitué des excès, en particulier en ce qui concerne l'alcool et le sexe, il n'a pas eu l'occasion de fréquenter cette Modération dont tout le monde parle plus que ça. La mère de sa charmante colocataire en revanche, il a eu l'occasion de la fréquenter bien plus qu'il ne l'aurait initialement voulu. Il le sait depuis le temps, ces dîners finissent toujours par arriver, lui demandant de s'habiller plus ou moins correctement et de faire semblant d'avoir l'air du gendre idéal comme si il cherchait à impressionner des beaux parents un peu chiants. Si Tristan n'en a pas vraiment conscience, c'est indéniablement ce à quoi tout cela ressemble. Il feint généralement la décontraction, mais la pression ne le quitte pas lorsqu'il fait fasse aux deux Gardner assis à sa table. « C'est qui ça Modération ? Une amie à toi ? Présente-là moi à l'occasion. » Pas sûr qu'ils s'entendent à merveille cela dit.

Il avale alors le contenu de sa tasse et se saisit d'une nouvelle capsule. Il le sait, sa consommation de café est hautement supérieure à la normale et mauvaise pour le portefeuille, mais l'addiction semble difficilement supprimable. Lorsque son amie lui précise que sa mère l'apprécie, Tristan lève les yeux au ciel. Cette naïveté est presque adorable. Sa mère le déteste, elle serait capable de le poursuivre avec une fourche si elle se retrouvait en la possession d'un tel instrument. Tristan a toujours eu l'imagination débordante. « Ta mère est persuadée qu'on essaye de l'habituer à l'idée et qu'on va se marier dans l'année. Ca fait dix ans que ça dure, c'est une source de stress considérable pour cette pauvre Mrs Gardner. Et tout ça c'est ta faute. A l'époque tu faisais déjà le mur pour venir jour au playmobils avec moi. Depuis c'est moi le badboy, c'est évident. » Le pire serait sans doute qu'ils entretiennent une relation libre. Ce scénario serait le coup fatal.

Modération, ce devrait être une amie de tout le monde passé 30 ans, tu sais ? elle l'interroge, sarcastique. Elle devrait bien admettre que cette pique là est gratuite - parce qu'il lui arrive, à elle aussi, d'abuser des boissons et des hommes charmants qu'elle rencontre lors de soirées arrosées. Pas de manière aussi systématique que lui, évidemment, pas tous les samedis, pas aussi souvent, mais quand même, de temps en temps. Ca arrive. Elle prend une inspiration et attrape une réserve de petits pains au lait achetés dans la semaine qu'elle dépose sur la table au cas où modération ait donné faim à Tristan - qui oublie d'ailleurs de reconnaître à quel point il serait perdu si elle ne vivait pas dans le même appartement que lui. Comment ferait-il pour les courses ? Pour l'organisation de la vie courante ? Et pour tout le reste ? Il ne ferait pas, voilà. Il finirait échoué pour d'horribles petits déjeuners sans rien à avaler avec des conquêtes transies d'amour.

Ce n'est pas ma faute, elle réplique, sur un ton légèrement agressif qui traduit sans doute à quel point c'est sa faute, justement. J'ai fait de mon mieux pour que mes parents s'ouvrent un peu et t'acceptent, mais il faut croire que tes quelques remarques sarcastiques et ton manque d'entrain à les voir ont eu raison de leur enthousiasme, elle ajoute en croisant les bras au dessus de son journal. Tu ne peux pas vraiment comparer le fait que je fasse le mur à tes grandes qualités actuelles de bad boy, cela-dit, elle ajoute avec un petit sourire entendu. J'ai déjà expliqué un milliard de fois à ma mère qu'on n'allait pas se marier et qu'on était colocataires. Il faut juste qu'elle comprenne et que tu sois gentil, et aimable, et bien élevé, et là elle me laissera tranquille. Tiens par exemple, tu pourrais commencer par mettre la chemise que je les ai forcés à t'offrir à ton dernier anniversaire. Et choisir le vin. Quoi que non, pas de vin. Achète des fleurs, alors ? Oui, elle s'emballe. Elle le sait, aucun des efforts qu'ils ne feront, ni l'un ni l'autre, n'aidera les parents Gardner à apprécier Tristan. Il est catalogué comme une menace et le sera sans doute jusqu'à ce qu'elle se marie avec un autre homme - et encore. Même là, ses parents seraient encore capables de le trouver menaçant ou trop présent.

Quel drame, Tristan et ses remarques sarcastiques ne sont pas sûrs de s'en remettre. Bouhou. Non ses kinf of beaux parents ne sont pas les êtres les plus charmants qui soient, il ne sert à rien de chercher à les impressionner. Il ricane cependant en songeant à cette fameuse chemise. La seule raison pour laquelle il la porte, c'est bien parce qu'il sait que Vera l'a choisie. Si sa kind of belle mère avait sélectionné elle-même l'habit dans une boutique, elle aurait probablement été trop courte ou d'une couleur absolument criarde. Du jaune poussin peut être. Du orange ? Histoire d'attirer les guêpes, Tristan a toujours détesté les insectes volants. « Si enthousiasme il y avait déjà à la base. » Il précise donc en la laissant toutefois terminer son petit monologue supposé le convaincre de faire un effort.

Ses idées sont bonnes c'est vrai, il pourrait tenter de les acheter par les fleurs, mais cela voudrait dire courir dans le centre ville en quête d'un bouquet lors d'une évidente gueule de bois. De quoi se poser des question quand on craint que sa fille ne finisse avec un bellâtre supposément mal élevé. Il ne ferait qu'augmenter ses soupçons. « Tu plaisantes j'espère, risquer de l'effrayer encore plus en tentant de faire bonne impression ?? A sa place moi aussi j'en viendrais à des conclusions hâtives. Il ne manquerait plus que je sorte acheter une bouteille de bon Whisky pour ton père... » Ce qu'il fera probablement sur le chemin du Burger King, mais qui ne changera pas grand chose au regard de Mr Gardner sur son alcoolisme mondain.

Il est d'ailleurs temps d'énoncer les priorités. « Je meurs de faim. » commente t-il avec évidemment aucune envie de cuisiner pour accompagner cette faim dévorante. « Et par pitié, me parle pas de soja. C'est moi qui rince, et fast food ce sera. » Les repas équilibrés ne sont pas au programme du jour, pour la simple et bonne raison qu'ils sont à la source de beaucoup de vaisselle. A l'ère du tout jetable, quelle idée fortement déplaisante !

Vera fronce un peu le nez - et doit bien reconnaître qu'il marque un point. S'ils se mettent à tenter de ménager les Gardner, ses parents vont croire qu'ils ont une annonce à faire. Déjà que Vera a pensé un temps que sa mère allait mourir quand elle lui a raconté qu'ils se fréquentaient - et ce alors même que leur relation n'a vraiment pas duré longtemps. Alors si elle va se faire des films, n'en parlons pas. En réalité, Vera trouve ça assez insupportable de la part de sa mère, cette pression qu'elle lui colle sans avoir l'air d'y toucher. Après tout, elle est encore libre de choisir ses amis - et, bon sang, ses fréquentations aussi. Elle est majeure et vaccinée, et elle apprécierait parfois que ses parents fassent un effort. Eddie Gardner plie parfois un peu - se laisse entrainer dans une conversation sur l'alcool ou sur tel ou tel tournois d'on ne sait trop quoi encore. D'accord, d'accord, pas de fleurs. Mais mets la chemise, au moins, et puis rase-toi. Elle lève les yeux au ciel, s'abstenant d'ajouter qu'il a l'air d'un bébé quand il est rasé - ça risquerait de le braquer un peu, elle ne peut pas vraiment se le permettre. Elle aurait très bien pu convier ses parents au restaurant pour mettre un terme au débat, et pour que Tristan ne soit pas obligé de subir une soirée pénible, mais voilà, son incorrigible optimisme ne peut s'empêcher de souhaiter que sa famille s'entende un jour avec son meilleur ami / colocataire / ex et elle en passe.

Sérieusement ? Burger King ? Encore ? elle demande dans un soupir décourageant. Elle se redresse, saute de son tabouret pour aller chercher un gant de toilettes dans la salle de bain et se débarrasser de l'argile. Va pour Burger King. On pourra aller faire du shopping et des courses, comme ça ! elle réplique joyeusement - et amusée aussi. Elle lui dépose un aspirine dans un verre dans lequel elle ajoute de l'eau et lui tend. Prend ça, elle lâche en souriant.  Si tu veux survivre à cette journée. Elle pousse la bouteille d'eau vers lui, aussi. Et bois. Une fois débarrassée de son argile, elle s'étire un peu et se sèche le visage avec une serviette propre. Il faut que je m'achète une robe de soirée, j'ai été invitée à un gala de charité pour une soirée contre les violences féminines, elle ajoute en se détachant les cheveux.

Tristan souffle, voilà qu'on lui demande de se raser maintenant. Si il était un ami de merde, il se casserait lui aussi chez sa famille pour éviter ce dîner. Comme il n'est rien de tout cela (et un peu maso sur les bords), il reste, hoche la tête, en sachant très bien que sa charmante colocataire obtiendra tout ce qu'elle veut de sa pauvre âme en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. C'est comme cela que cela fonctionne, et il doit bien admettre qu'il est du petit duo, celui qui se fait avoir la plupart du temps. Pour faire passer la frustration, il grattouille le ventre de Chester qui s'est étalé de tout son long près de sa tasse de café. En théorie, le chat n'a pas le droit de monter sur les meubles, mais avec un maître aussi laxiste, ce qui devait arriver arriva. Le ronronnement de la bestiole lui décrocha un sourire. « Tu me fais chier » Il réplique en guise d'acquiescement. Vera est sûrement satisfaite, et un peu hypocrite aussi. Lorsqu'ils étaient ensemble, même si cela n'a duré qu'une semaine à tout casser, il se rappelle bien l'avoir entendu dire que la barbe de trois jours lui allait bien mieux.

« Oui, Burger King encore, c'est juste à côté et j'ai faim. Plus, j'ai toujours envie de frites. » Son amour des fasts food dégueulasses finiront par lui coûter cher, il le sait. Mais tant qu'il survit sans passer trop de temps à la salle de sport, il continue d'abuser complètement jusqu'à la formation dudit ventre à bière. Car la bière c'est un tout autre problème. Vera lui propose d'ailleurs de l'eau, boisson complètement underrated du 21ème siècle, et Tristan arque un sourcil. « Qu'est-ce que c'est que ça, ça ressemble à rien de connu. » plaisante t-il avant d'avaler le contenu entier du verre. Totalement underrated indeed. « Meilleur que dans mon souvenir en tout cas. » ajoute t-il avant de se focaliser sur l'information qui vient d'arriver à son cerveau. « Donc en gros, je vais devoir t'accompagner faire du shopping avec la gueule de bois en plus de ce soir ? Tu veux me tuer ou quoi ? » Exagération, sa spécialité.

Non, je ne te fais pas chier, Tristan, j'illumine chacune de tes journées avec mes idées fantastiques et ma bonne humeur sans faille. Oh, et en plus, je suis une amie formidable qui ne veut que ton bien, elle précise en secouant la tête, grandement amusée par la situation, cela dit. Vera sait qu'elle ne peut ni ne doit abuser cela dit, parce que c'est lui qui fait les plus grandes concessions en acceptant d'assister à ces dîners étranges qu'elle lui impose et qui ne sont pas toujours une partie de plaisir elle le sait. Ses parents sont conservateurs, pénibles, élitistes, et le voient clairement d'un mauvais œil - sa mère ne se prive pas tellement de le montrer, ni de le faire remarquer à sa fille quand l'envie lui prend. Merci, elle lâche donc, avec un sourire d'ange, en battant exagérément vite des cils pour faire la belle, parce qu'elle sait qu'elle obtiendra toujours ce qu'elle veut avec lui. Ce n'est pas méchant, au contraire. Peut-être qu'elle s'y prend mal, mais tout ce dont elle a envie, elle, c'est qu'il s'intègre à sa famille et que ses parents arrêtent une bonne fois pour toute de la harceler avec un éventuel déménagement. Elle, personnellement, elle le préfère comme ça. Quand il n'est pas rasé. Elle le dévisage d'ailleurs un instant, puis revient au verre d'eau qu'elle se sert à elle-même.

Je dois avouer que les frites de Burger King sont bonnes, mais si tu continues à manger Burger King tous les jours et à avaler une quantité aussi conséquente d'alcool, tu vas finir tout flasque et tu perdras le bénéfice du sport de chambre pour brûler les calories, je te signale. Et tu ne pourras pas dire que tu n'es pas prévenu. Elle croise les bras et lève les yeux au ciel, amusée malgré tout, quand il avise l'eau. Arrête, tout le monde aime boire de l'eau les lendemains de cuite. Elle se redresse et retire le bandeau qui retenait ses cheveux légèrement ondulés et l'élastique qui le emprisonnait. C'est ma tournée pour le déjeuner. Je ne veux pas te tuer, juste t'utiliser pour porter tous mes sacs. Si t'es sage, on pourra manger une glace, elle complète en lui tirant tendrement la langue. Et puis, on pourrait en profiter pour te racheter quelques trucs aussi, je suis sûre que t'es en état pour essayer plein de choses ! Oui bon là, elle est mesquine. Juste une robe, et on rentre, tu pourras faire la sieste pendant que je mettrai plein de plats congelés dans des jolis plats en porcelaine.

Une amie formidable, ne le forcerait pas à faire du shopping, il en est persuadé, mais il ne cherche pas à détromper Vera, ce serait chercher les emmerdes en toute honnêteté. Il se contente donc d'un sourire éblouissant qui en dit probablement long sur sa façon de penser cela dit. Cette fille est parfaitement insupportable. Parfaite et insupportable. Mais ce paradoxe n'atteint pas encore ses neurones grillés par cette belle gueule de bois qu'il se tape aujourd'hui. Sa priorité ultime dans l'instant, c'est bien les frites de Burger King. « Que veux tu que je te dise, on ira à la gym ensemble et puis c'est tout. » Abandonner sa chaîne de fast food préferée n'est pas dans ses projets de toute évidence. Si il devait en venir à une telle extrémité, il faudrait d'abord que l'un des membres de cette coloc apprenne à faire des frites correctes, ce qui n'est toujours pas le cas jusqu'à preuve du contraire. « Okay pour le shopping, mais laisse moi une heure au moins avant d'affronter tes parents, histoire d'être prêt psychologiquement si c'est possible. » Ses parents sont flippants, et le pauvre homme a bien du mal à déterminer lequel d'entre eux est le pire. Le gros avantage dans tout ça, c'est qu'il faut se préparer à tout. « On peut leur dire de venir un peu plus tard, ou c'est pas négociable ? » Il essaye tout de même, dans l'espoir idiot de gratter une heure ou deux de répit avant la fin du monde.

Voyant qu'il n'obtiendra pas gain de cause, il se sert un nouveau café et avale une nouvelle gorgée d'eau pour amorcer le processus de réhydratation. « Un nouveau boyfriend pourrait pas jouer mon rôle pour une soirée sinon ? Si je reste devant Netflix avec des écouteurs, ils s'apercevront pas de ma présence. Je peux employer un type pour la soirée, juste donne moi ton mot de passe tinder et je te trouve ça en deux deux. » Il va se faire envoyer chier, c'est inévitable, mais il aura au moins tout essayé.

« Je vais déjà à la gym. Trois fois par semaine, pendant ma pause déjeuner. Je cours sur un tapis et ensuite je soulève des poids pour avoir ce corps de rêve toute l'année », elle lance, guillerette, en faisant un geste des bras pour montrer son corps - qu'elle ne considère pas comme étant de rêve, soit dit en passant. Il est normal, acceptable. Elle s'y sent bien, point final. « Et toi tu essayes de tout ruiner avec des frites et des burgers énormes chargés de fromage. C'est pour ruiner mes chances de rencontrer le Prince Charmant, c'est ça ? » Elle lève les yeux au ciel et hausse une épaule défaitiste. Passée la trentaine, elle a peu d'espoir de rencontrer un jour l'homme de sa vie - telle que ses parents l'imaginent, en tout cas. Et maintenant, elle s'en fiche. A trente cinq ans, Vera a appris à composer avec le célibat et tout ce qu'il engendre dans les yeux des autres. Elle rencontre des gens, ça ne fonctionnent la plupart du temps pas - et elle ne se prive pas de quelques soirées où elle rencontre des gens qu'elle ne voit qu'une fois. On fait ce qu'on peut, après tout. Heureusement, Maman Gardner n'en sait rien - elle imagine toujours sa fille en recherche active de l'homme parfait, dangereusement menacée par la présence de Tristan dans son entourage trop proche.

« Qu'on soit bien d'accord, tu me demandes d'appeler ma mère pour lui dire que finalement, il faut qu'elle vienne une heure plus tard que l'heure prévue ? Tu sais bien que c'est impossible. Elle arriverait ici dans une colère monstre et tu passerais une soirée encore pire que prévue », elle réplique en secouant vivement la tête. « Tu n'échapperas pas à cette soirée. Tu mettras ta belle chemise et tu souriras comme tu peux aux allusions de mes parents, parce que je ne démordrais pas du fait qu'un jour, vous réussirez à vous entendre. Et puis, ils ne sont pas si terribles, juste terrorisés à l'idée que je ne puisse pas fonder une belle famille comme celle qu'on a formé eux et moi pendant de longues années. A cause de toi. C'est pas grand chose ». Elle rayonne d'un sourire qui lui monte jusqu'aux oreilles et disparait un instant pour enfiler une robe. « De toute façon, pas de nouveau boyfriend en vue. J'aimais bien Matthew, mais il a flippé quand il t'a vu débarquer en caleçon dans ma chambre dimanche matin ». Elle hausse une épaule. Un bon coup - en plus. Bien qu'un peu trop fleur-bleue, surement. « On y va ? J'ai faim, maintenant ». Et très peu de patience, il faut dire ce qui est.

Tristan hausse un sourcil impressionné. Sa meilleure amie est une ninja et lui ne le savait pas ! Rien que penser à toute cette sueur lui donne envie de frites. Décidément, cette torture n'est pas pour lui et il a finalement tout le temps d'y penser plus tard. Lorsqu'il sera vieux et que son ventre à bière fera son apparition, alors il téléchargera une de de ces applications qui calculent automatiquement toutes les graisses ingurgitées. Il vivra alors sa vie d'homme obsédé par son poids comme bon nombres de personnes sur cette terre. Pour l'heure, ce n'est absolument pas la priorité, et il peut remercier mère nature pour sa générosité. « Tu n'as pas besoin de rencontrer le prince charmant, il est devant toi. » Précise t-il avec un sourire aussi éblouissant qu'il est amusé. « Et moi je t'aime comme tu es. Pourquoi te faire du mal ? Ta mère s'inquiète pour quelque chose non ? » Il la taquine, mais la part de vérité dans cette moquerie reste tout de même assez importante. Encore une fois, la plaisanterie fait passer le compliment comme une lettre à la poste, même si en réalité, Mr and Mrs Gardner ont toutes les raisons du monde de s'inquiéter.

Il termine cette fois la bouteille d'eau, hydraté jusqu'à la prochaine bavure. « Oui on s'entendra quand tu leur aura présenté quelqu'un, mais comme tu ne t'avère pas très pressée de rencontrer le quelqu'un en question, je suis automatiquement devenu le potentiel beau-fils qu'il faut absolument emmerder. Avoue que c'est un rôle difficile à porter. » A l'entente du nom Matthew, Tris fronce les sourcils. Il a déjà bien du mal à se rappeler les prénoms des personnes avec lesquelles il couche, ce n'est pas vraiment pour faire un sans faute sur les partenaires sexuels de Vera. « Matthew ? C'est lequel celui-là ? Le moustachu où celui qui a l'air d'avoir seize ans ? » Pas que ça l'intéresse tant que cela. «  Anyways, j'ai quand même le droit de me balader en caleçon chez moi. Si ça avait dû se faire entre nous, on aurait sûrement une jolie baraque en banlieue avec un labrador, les gens sont beaucoup trop dramatiques. »

Vera hausse un sourcil sceptique quand son meilleur ami - cet idiot - affirme être le Prince Charmant. Oh, elle en doute fortement, et d'ailleurs, sans-doute serait-elle déjà en train de répliquer si ce n'était pour la phrase qui suit et qui la complimente sans en avoir l'air. « Oh crois-moi, si tu étais le Prince Charmant, ma mère nous aurait déjà mariés. » Elle rit un peu et applaudit. L'idée est étrange. Etrange et, quelque part, dans la partie déni de son cerveau, assez séduisante. Il faut si peu pour qu'elle rechute inlassablement dans ses vieux travers. il faut si peu pour qu'elle le trouve attirant, séduisant - quelques verres de vin, par exemple. Ce d'autant qu'il faut bien admettre qu'il manie le baratin à merveilles. Heureusement que la partie autorité de son cerveau sait lui signaler quand elle avance en terrain miné. « Et si tu m'aimes comme je suis, c'est précisément parce que je suis formidable », elle réplique, tous sourires.

« Ma mère veut juste que j'épouse un type charmant qui fréquente son église. Sauf que ça ne risque pas d'arriver - alors on stagne, un peu. Ils finiront par se faire à l'idée. » Elle a bien conscience qu'elle éprouvera toutes les difficultés du monde à satisfaire ses parents, sauf à revenir en banlieue pour sortir avec un bourgeois quelconque, fils de bonne famille un peu ambitieux. « Cela dit, je dois bien admettre que ce n'est pas simple d'affronter mes parents. Tu es courageux. Bravo », réplique-t-elle, tout aussi sérieuse que sarcastique cela dit. « Matthew, c'était le blond qui ressemblait à un surfer. Tu suis un peu ? Bon, on peut y aller maintenant que tu t'es plaint ? Depuis quand tu veux un labrador ? Tu sais, quand on sera tous les deux vieux et désespérés, on pourra toujours déménager en banlieue. Une jolie baraque, ça n'a pas l'air si désagréable. Et puis, t'es un coloc pénible mais assez décent, quand j'y pense, je suis pas sûre de trouver mieux. » Et bim, un compliment dissimulé en retour. Ils sont doués, décidément.

Elle le vanne et Tristan ronchonne en ayant l'air indigné. Il sait très bien qu'il n'est pas vraiment un parti idéal. Il n'est certes pas désagréable à regarder, et il a un job plutôt stable, mais c'est sûrement son absence de relation durable qui effraie à la fois les parents de Vera et Vera elle même. Si tout cela ne lui effleure que trop peu souvent l'esprit, il a tout de même l'impression que sa meilleure amie a décidé il y a bien longtemps de ça qu'il n'était pas assez bien pour elle. Il ne s'en formalise pas cela dit. Elle est peut être la femme idéale, mais il n'y a aucun mal à continuer à chercher si ça ne fonctionne pas entre eux. Ils ont essayé, vaguement, et malgré ses efforts pour rentrer dans le moule, ce n'est pas vraiment ce qu'elle voulait de leur relation il faut le croire. Sans doute a t-elle flippé elle aussi, Tristan ne le saura jamais. Et pour être tout à fait honnête, il préfère ne pas se faire du mal à essayer de trouver une explication à cette rupture, aussi courte leur relation fut-elle d'ailleurs.  « C'est ta faute aussi, tu lui racontes tout plein de trucs embarrassant sur moi. J'ai un vrai job, tu devrais parler de ça. » Bon les profs n'ont pas très bonne réputation. Les professeurs d'université à plus forte raison. Fainéants, planqués, toujours en vacances... Il a tout entendu. Mais il a quand même rédigé une thèse ! Autant d'années à étudier, ça doit bien valoir quelque chose tout de même. Au moins pour rattraper son imagine peu flatteuse auprès des parents de Vera. « Je t'aime beaucoup, mais Dieu et moi on est pas copains. Je suis donc au regret de t'annoncer qu'il est de ce fait hors de question qu'on se marie dans tous les cas. » Aller à l’église ? Plutôt mourir. Franchement quelle idée !

Tristan secoue la tête. Non vraiment, les parents de Vera sont des énergumènes qu'il se passerait bien d'avoir dans sa belle famille, ce qui est presque déjà le cas vu ce dîner improvisé par Vera, mais ça il se garde bien de le dire. « J'adore les chiens, surtout les bonnes pâtes. Un labrador c'est pas chiant. Le petit roquet qui pisse partout non merci par contre. On a pas les moyens d'avoir un dogsitter. » Il enfile un t-shirt propre, sans chercher à s'isoler dans sa chambre et se donne un vague coup de peigne. « Ca va je suis prêt, la prochaine fois, emmène Matthew faire du shopping, faut bien qu'ils aient un intérêt tes copains. » Il précise avant d'ajouter un peu d'eau fraîche dans la gamelle de son chat. Un privilégié celui-là !

« Bonne idée, je vais lui parler de ton boulot, et de la fois où tu étais trop bourré et que tu as pris une journée maladie », elle taquine, non peu fière d'elle-même sur ce coup. En réalité, Vera évite dans la mesure du réalisable de parler des écarts de Tristan à sa mère, parce que la vérité fondamentale de cette histoire, c'est que Mrs Gardner n'a pas besoin de connaître les détails pour prendre le jeune homme en grippe. C'est presque irrationnel tant c'est ridicule, et pour être franche, c'est l'objet de nombreuses disputes entre Vera et sa mère, mais c'est comme ça. Sans doute Mrs Gardner a-t-elle senti le potentiel bourreau des cœurs qui sommeille en Tristan. Peut-être que les craintes se sont révélées dès leur plus jeune âge, peut-être aussi qu'elles se sont accentuées les quelques jours où ils ont tenté quelque chose ensemble. C'est aussi peut être à cause de sa mère que Vera a pris peur, parce qu'aussi agaçante et ridicule soit-elle, Mrs Gardner finit toujours par impacter les opinions de sa fille d'une manière ou d'une autre - et sur ce coup, de la pire des manières. « Oh, Seigneur... Le jour où je veux me débarrasser de ma mère, je lui annonce qu'on est ensemble et que tu refuses de te marier », elle lâche en secouant la tête. « Nul doute qu'elle mourra sur le coup. Un conseil, mon cher, ne dis jamais à ma mère que Dieu n'est pas ton copain, si tu veux conserver le peu d'estime qu'elle a de toi intact et me faciliter la vie », elle ajoute en secouant la tête.

« J'aurais bien emmené Matthew, il aurait été ravi de m'accompagner dans les cabines d'essayage des magasins de lingerie, lui. Seulement comme je te l'ai dit, il a fui. A cause de toi. Alors pour éviter que, à cause de toi, je suis obligée d'écumer les boutiques seule, il est logique que tu t'offres en sacrifice. D'autant plus que j'ai accepté d'aller manger les frites ultra grasses du Burger King en te regardant manger un burger plein de viande », elle ajoute en secouant la tête de désapprobation. Elle lève les yeux au ciel quand il donne à boire de l'eau fraîche au chat et le laisse faire après avoir glissé son sac sur son épaule. Une fois la gamelle remplie, elle le dévisage et tape du pied impatiemment. « Allez, en route Princesse, sinon on va finir par être en retard ce soir ! »

« Alors là non, je proteste, je n'avais pas la gueule bois, c'est juste le resto mexicain avant qui m'a mis dedans. J'ai vomi mes tripes ce soir là, et ce n'était pas à cause de l'alcool. » Il lui refait le coup des fruits de mer dans le cocktail, mais Vera n'est pas du dupe. En bonne meilleure amie, elle sait reconnaître la mauvaise de Tristan mieux que personne dans le tout San Francisco. Tristan a peu être du mal avec les épices, mais difficile de blâmer la cuisine mexicaine lorsqu'on a ce point abusé de la tequila. Le restaurant y était peut être pour quelque chose, mais ce n'était très certainement pas à cause de la nourriture qui y était servie. La carte des alcools a eu raison de lui, mais ça il ne voudra jamais l'admettre « Les étudiants sont contents quand ils n'ont pas à se lever à six heures. J'avais prévenu sur le groupe whatsapp en plus. » En bon prof branché, Tristan use des technologies pour annoncer ses retards de quinze ou trente minutes. L'avantage c'est que tout le monde est prévenu et ravi de profiter de son quart d'heure de politesse lorsqu'il arrive une énième fois en retard. Tristan ricane lorsque Mrs Gardner est de nouveau abordée. Il sait très bien ce qu'il doit éviter de dire en sa présence. Practice makes perfect comme on dit.

Mais tout comme sa charmante fille, Mrs Gardner est dotée d'une intelligence suffisante pour reconnaître un ennemi de Dieu lorsqu'elle en croise un dans le salon de sa fille. Le signe de croix à l'envers lors de l'enterrement de l'oncle Mathias avait fait son petit effet à l'époque. « C'est trop tard pour ça Vera, tu le sais bien. » Il espère tout de même qu'avec le temps, ses presque beaux-parents vont finir par capituler devant sa connerie. On s'habitue à tout il paraît. Il leur suffit juste de s'habituer à entendre de la merde pendant 4h durant le dimanche après-midi après la messe, rien de dramatique en soi. Avec un peu de chance, ils auront aussi bien mieux à faire les weekends et il pourra disperser ces dîners de façon un peu plus ample sur le calendrier. Encore une fois, il suffit d'y croire. Si Vera trouve un abruti à emmener là bas à sa place, le problème se réglera de lui même. Plus ou moins. « T'es quand même chiante comme meuf, même si formidable. » Tristan ajoute avant de l'accompagner faire son fucking shopping.

« Tu mens comme tu respires, Tristan Duncan, et ne me prends pas pour une idiote, je te connais par coeur, ce qui en dit certainement long sur mes capacités mentales, si tu veux mon avis », elle précise, claquant sa langue contre son palais pour le réprimander à distance. Elle croise les bras et secoue la tête, se donnant un faux air sévère qui ne trompe personne. Elle sait très bien qu'il fait ce qu'il veut de sa vie, qu'il n'était pas malade - juste bourré - et qu'elle n'a pas besoin de lui dicter sa conduite. C'est une vague plaisanterie, presque tendre, qui en profite pour rebondir sur toutes ces années d'amitié qu'ils ont désormais au compteur. Inlassablement inséparables. Sur le papier, c'est vrai, il aurait fait un prétendant idéal. Il la connait par coeur, lui aussi, et avec lui, elle n'a pas besoin de faire des manières.  Souvent, c'est ce qui rebute Vera, lors des premiers rancards avec d'illustres inconnus ; ce besoin qu'ont les gens de prétendre qu'ils sont parfaits alors que tout le monde sait, rationnellement, que personne ne l'est. S'apprêter, dissimuler les moindres marques d'un visage fatigué, dompter des cheveux revêches, vernir des ongles qui s'écailleront en quelques minutes, passer trois heures à retirer minutieusement chaque poil de chaque partie de son corps - tout ça pour en foutre plein la vue à un inconnu. Le songe ne dure qu'un temps ; après ça, revoilà les cheveux en vrac, attachés à la va-vite, les ongles courts, le rasoir entre deux douches. C'est ça, la vie, la vraie. Pas un amas de précautions qui constituent quasiment un job à plein temps. Et la vie, la vraie, c'est celle qu'elle vit ici. Bon, bien entendu, comme elle a mis elle-même des barrières assez solides autour de leur amitié, certains aspects pratiques - ou techniques - viennent à manquer. Mais sur le principe, oui, il aurait fait un partenaire idéal. Sur le principe seulement.

« Il n'est jamais trop tard », elle lance en attrapant une veste qu'elle glisse sur ses épaules dénudées.  Elle prend son bras et l'entraîne dehors, profitant de l'ascenseur pour remettre une touche de baume à lèvres. Une fois qu'ils sont dehors, elle prend à pieds la direction du Burger King, glissant des lunettes de soleil sur son nez. « Et si je suis chiante, moi, alors t'es quoi toi ? L'ambassadeur attitré d'Hadès ? T'es largement pire que moi. Une vraie pleurnicheuse », elle lâche, à moitié subtilement - et à ce même moment, son portable sonne. « Oh », elle lâche, en lisant le message. « Voilà qui va te remonter le moral - mon frère sera aussi de la partie », elle lance en répondant ok à sa mère qui se satisfait bien souvent de ces messages courts et atroces que les parents réservent à leurs enfants pour les torturer. Quelques mètres plus tard, l'entrée du Burger King s'offre à eux. Elle s'approche des caisses et libère le bras de son meilleur ami, avisant la préparatrice pour passer la commande - une grande salade et une moyenne frite pour elle, avec un coca zéro et une glace bounty - et whatever Tristan wants, un truc extrêmement calorique et gras. « C'est pour moi, comme promis », elle lance en sortant sa carte bleue.

« Je ne vois absolument pas de quoi tu parles Vera Gardner, tu te fais des idées. Je suis indigné par tes accusations infondées et je songe à t'attaquer pour diffamation avec ma prime de fin d'année. » Il précise en accompagnant son récit d'une mine choquée/déçue bien caractéristique. Avec les années, ils ont appris à se connaître par cœur, trop peut être. Ils étaient les enfants terribles du quartier, pas les derniers à faire des blagues pas vraiment drôles aux autres enfants. Forcément, Tristan n'a pas bonne presse avec les parents de Vera. Ils se souvient notamment des retenues que les deux avaient récolte en faisant des conneries en classe. Prétendre qu'il n'est pas trop tard pour entrer dans les bonnes grâces des Gardner c'est se voiler la face. Les deux catholiques ont eu tout le temps nécessaire pour évaluer le spécimen. Il n'est pas Gardner approved, et il y a peu de chance pour que cela change, il faut se faire à l'idée. Tristan ne le vit pas si mal que ça, il se dit qu'ils finiront bien par s'habituer à son insupportable présence dans la vie de leur fille, vu que celle-ci ne compte pas se débarrasser de son colocataire chiant de si tôt.

Tristan ricane à sa blague mythologique et répond avec fierté. « Pas son ambassadeur, son meilleur ami. » Leur conversation est bien vite interrompue par le portable de Vera qui sonne et annonce l'arrivé d'un invité supplémentaire à ce petit repas de famille dont il est le seul alien indésirable. La nouvelle est réjouissante cela dit. Le frère de Vera n'est pas désagréable et cela fait une personne de plus à avec laquelle discuter sans avoir à marcher sur des œufs. « Ah enfin une bonne nouvelle! Met le à côté de moi sur le plan de table. Éloigne ta mère le plus possible. Il en sera ainsi aussi à notre hypothétique mariage aussi je précise. » Ils s'engouffrent chez BK et Tristan retrouve le sourire. Son estomac commande un gros Burger et des frites, beaucoup de frites. « Qu'est-ce qu'on leur sert à ta famille du coup? »

- Fais donc, je me payerai un avocat hors de prix avec la vente des sextoys que je vais sortir en septembre, elle réplique, sans se départir de son sourire - qui grandit un peu, d'ailleurs, pour lui monter jusqu'aux oreilles.

C'est toujours comme ça, entre eux. Ils n'ont jamais eu une relation reposante. Ils n'ont jamais cessé de s'envoyer des piques, de se provoquer, ils sont toujours dans l'humour et le répondant, sur le fil du rasoir. Et même s'ils savent tous les deux retrouver leur sérieux quand la situation le réclame, la plupart du temps, peu de gens sont capables de suivre leurs échanges. Et sans doute qu'elle l'aime, c'est vrai. Sans doute qu'il ferait le mari parfait - pas pour ses parents, pas pour les gens, mais pour elle, pour son coeur, pour ses angoisses, pour qu'elle soit bien. Sauf que Vera est incapable de penser comme ça - parce qu'elle le connait trop bien. Parce que ni l'un, ni l'autre ne bénéficient de l'immunité des premiers jours ou des premiers mois d'une relation. Elle sait comme il traite les filles qu'il ramène, et lui sait ce qu'elle attend de l'homme qu'elle laissera réellement entrer dans sa vie - rien à voir avec ceux qui échouent dans son lit, pour lutter contre une solitude qui n'est que le fruit de son imagination. Parce qu'aussi forts soient-ils à se convaincre, toute leur vie se déroule comme s'ils étaient déjà un couple - quelques détails en moins.

- Son meilleur ami, oui, parce qu'en fait vous jouez dans la même cour. Sur un pied d'égalité, elle répond en acquiesçant comme ils prennent le chemin du Burger King, commandent puis s'installent. Il sera à côté de toi, oui, en revanche dans la mesure où on sera 5 à dîner, tu comprendras qu'il ne va pas être simple d'éloigner ma mère de qui que ce soit. Pour le dîner, je pensais passer chez le traiteur italien, dans notre rue. Je n'ai pas envie de cuisiner - et de toute façon, ça risquerait d'être assez dégueu - et j'imagine que toi non plus. On achètera deux trois trucs en rentrant, et j'ai commandé un gâteau qui est déjà dans le frigo. Tu n'auras plus qu'à leur sortir une bouteille de vin, ou de Champagne, ou de n'importe quoi - tu vois, rien s'insurmontable.