ce qui est étonnant quand on travaille, comme toi, derrière le comptoir d'un petit cinéma, ce sont toutes les histoires qui se déroulent sous tes yeux. finalement, plus besoin de t'assoir devant la grande toile blanche, il te suffit de lever le regard et d'observer. les gens sont parfois drôles, ridicules et même un peu pathétiques. une oeuvre toute entière qui se joue à la perfection. les scénarios changent de soir en soir. le petit-ami qui vient à son premier rencard, l'amant qui retrouve la femme mariée, la grand-mère qui s'offre un peu de bon temps toute seule.. les personnages sont variés.
et je suis payé pour ça. c'est ce qui est sans doute le plus dingue. ce soir, encore une fois, c'est face à un scénario inédit que tu te retrouves. le mec que tu as bousculé à la sortie du cinéma la nuit dernière qui se pointe à nouveau. tu reconnais son visage. ce que tu ignores, c'est la raison qui poussent deux gamines de ton lycée à lui sauter au cou et à lui réclamer une selfie.
encore un prince ? non, il n'en a pas l'allure, lui.
alors un acteur ? non plus.. à moins qu'il soit narcissique au point de venir voir son propre film. tu regardes l'affiche, les acteurs sont trop vieux pour lui. tu hoches le visage, elles disparaissent aussi vite qu'elles sont arrivées et il soupire.
un musicien. oui, l'air blasé, le regard bas. il s'enfile dans la salle et disparaît de ta vie.
merde, qu'est-ce qu'il y a comme célébrité par ici. tu penses en rougissant légèrement. le temps passe, l'heure défile, et les gens sortent doucement. et toi, tu ne les vois pas débarquer. tu es à l'entrée du cinéma, le nez planté dans le ciel. tu comptes les étoiles, comme toujours. c'est quand il pose sa main sur ton épaule que tu te retournes. si violemment que tu le percutes encore, un peu maladroitement.
oh. excuses-moi. tu lui dis en rougissant encore une fois.
merde, c'est lui. parce que tu le reconnais, tu es vachement physionomiste comme mec.
je.. je voulais pas, désolé. tu t'excuses, comme toujours. et puis, tu regardes ton collègue derrière le comptoir et tu le regardes à nouveau.
tu veux quelque chose ? tu arques un sourcil. peut-être vient-il seulement te demander de le servir, il y a foule là-bas et tu as bien que ça le gavait.. le cirque des autographes et selfies.