hantée (ft toni)

J'pensais l'oublier facilement, pourtant il me hante

T’as reçu ce mail, et t’es partie. Partie du boulot plus tôt, partie en vrille. T’as besoin d’air, Lola, t’as besoin de rentrer chez toi. T’espères que ton mari rentrera tard, très tard, le plus tard possible … Il peut pas te voir dans cet état. Alors t’inventes la première excuse qui te vient à ton patron, tu rentres chez toi, tu te laisses glisser derrière la porte d’entrée, en larmes. Tu croyais que c’était fini avec lui, que t’en avais fini. Tu combattais tes démons et lui il revenait, encore plus terrible qu’avant. Des photos de toi nues, juste ça, ouais, mais ça te mettait dans tous tes états. Ton mari, il te  regarderait plus jamais pareil. Mais de toute façon, s’il savait tout ce que tu faisais, s’il te connaissait … Rien ne serait plus jamais pareil. Et cette magnifique villa ne serait sans doute plus la tienne. Ca te fait tilt soudainement, tu ne sais même pas à quelle heure il rentre, tu peux pas rester prostrée comme ça, tremblante devant la porte d’entrée. Tu te lèves, tu cours vers ta salle de bain. T’essuies tes larmes, t’enlèves tout ton maquillage pour le refaire. Ca au moins, tu sais faire. Tu pleurais tellement, avant, et tu cachais ça tellement bien. Ton plus beau blush, le meilleur anticerne du monde, le mascara qui illumine le regard … y’avait pas besoin de grand-chose de plus pour camoufler tes démons. Si seulement tu pouvais aussi facilement les oublier, toi aussi, t’aurais beaucoup moins de soucis. T’es à peine prête que t’entends sonner – c’est quand même pas déjà lui ? Il est encore tôt, tu comprends pas, et t’attends personne. Tu te regardes une dernière fois dans la glace, t’enfiles tes talons qui claquent sur le sol – ça donne de l’assurance, de la confiance, il paraît, et tu vas ouvrir. « Oh ma puce, qu’est ce que tu fais là ? Ca va ?  » S’intéresser à elle, c’est détourner l’attention sur soi-même, éviter que les questions fusent, parce que Toni, elle serait sans doute pas dupe. Tu la serres dans tes bras, lui fais un bisou sur ses deux joues. Ta sœur d’amour. Celle avec qui tu partages tellement, celle qui te comprend sans doute le mieux. « Je t’attendais pas, j’me serai faite diablement plus belle pour toi sinon.  » Tu souris. T’aimais tellement t’habiller, te maquiller avec ta sœur. Vous aviez la même passion pour les belles choses, et t’aimais aussi lui en offrir. Ca te rendait heureuse de la rendre heureuse.

La clé tombe au sol alors qu'tu sors enfin d'l'appartement. Tu souffles un peu, plus par réflexe que par réel agacement, et récupère le trousseau pour pouvoir enfin fermer la porte. T'as la flemme d'tout, aujourd'hui, et tu t'es dis que t'avais besoin d'un peu de motivation. Il fait beau, alors autant sortir, non ? Profiter d'la chaleur, du beau temps, dégourdir tes jambes, t'vider la tête, aussi, surtout. Alors t'voilà à débarquer dans les rues d'mission district, marcher tranquillement, allumer une cigarette. Et sans qu'tu t'en rendes comptes, tes pas te mènent plus loin, bien plus loin. Ce qui devait, de base, n'être qu'une petite balade, se transforme limite en randonnée. T'es pas loin d'chez Lola, ton choix se fait vite, et tu bifurques dans une rue pour rejoindre la villa. Il est assez tôt, mais t'es presque persuadée qu'elle sera là ; tu sais pas pourquoi, comme une intuition, un feeling. Elle sera là ; puis au pire, si elle est pas là, t'auras qu'à passer au 555. Tu pourras facilement y aller, après tout, ça n'est pas si loin que ça. Puis t'as déjà fais l'plus gros du chemin, pas vrai ? Anyway, tout ça pour dire qu'tu frappes à la porte d'la villa d'ta sœur. T'as toujours admirée Lolita, d'puis toute petite ; mais voir cette maison te rappelle à quel point ta sœur a su gravir l'échelle sociale. Tu sais que c'est pas ce qu'elle cherchait, ni ce dont elle avait besoin, mais une part de toi est tout de même très fière d'elle ; parce qu'tu sais que c'était pas gagné. Les Nieves sont pas vraiment fait pour ça. L'American Dream, tout ça, ça fait rêver la famille, mais est-ce que l'un d'eux a vraiment l'pouvoir d'y arriver ? À part Lolita, non, tu l'penses pas.

Ta sœur t'ouvre, et si tu remarques immédiatement que quelque chose ne va pas, tu restes pourtant silencieuse, te contentant d'embrasser rapidement sa joue en ignorant l'sentiment qui t'oppresse déjà l'estomac. S'il y a bien une chose que tu détestes, c'est bien voir Lola comme ça. J'me baladais et j'ai atterri dans l'quartier, alors j'me suis dis que j'allais passer t'dire bonjour. T'es rentrée tôt dit donc. Tu soulignes ce fait, histoire d'commencer en douceur. Tu sais qu'elle devrait pas être là, mais qu'importe. T'as tout l'temps d'en parler avec elle. Sois pas idiote, t'es déjà super jolie, là. Bien plus que j'le serais jamais, d'ailleurs ! Et c'est vrai qu'elle est magnifique, ta Lola, malgré les quelques traces de larmes que t'imagines aisément ; t'as toujours été perspicace quand il était question d'comprendre ses sentiments. Tu vas t'installer sur l'canapé sans perdre un instant, Toni, t'façon tu sais qu'chez Lola, c'est un peu comme chez toi, malgré les stress et les paillettes dont t'es bien loin. Ça fait quelques temps qu'on s'est pas vu... Juste quelques jours, mais ça t'fait du bien d'être avec elle, c'qui te décroche d'ailleurs un sourire resplendissant. Comment tu vas, beauté ? Alex est pas là ?

J'pensais l'oublier facilement, pourtant il me hante

A peine le regard de ta sœur croisé, tu sais qu’elle sait, justement. Tu ne peux rien lui cacher, à Toni.  C’est étrange comme cette relation que tu as avec elle, le fait que vous vous comprenez en un regard, ça aurait dû être celle que tu aurais du avoir avec Alma, ta jumelle. En fait, vous l’aviez avant. Enfant, vous étiez inséparables. Mais les années sont passées, vous êtes devenues les totales opposées. Même si vous vous aimez toujours, que votre bande de pote est toujours là même, y’a quelque chose qui a changé, et qui se réparera peut-être jamais. Avec Toni, pourtant, y’a jamais rien eu de cassé. Quand tu les as plus ou moins laissées pour ton ex, quand il t’a éloignée de tout le monde, Toni, ça a été la première à en devenir dingue. Mais c’est aussi, sans doute, celle qui t’a le plus aidée. Celle qui a su le plus t’ouvrir les yeux, te rattraper, te faire revenir vers ta famille, ta vraie vie, et arrêter d’être simplement l’ombre de toi-même. Du coup tu savais qu’elle le reconnaissait, ton regard des mauvais jours. Tu savais qu’un peu de mascara, de blush, ça suffirait pas pour la duper. Avec Alma, par exemple, ça aurait fonctionné. A merveilles. « Ouais … j’ai fini tôt mon papier.  J’ai fait un super zoom sur les tendances actuelles pour les robes de mariées, ça intéresse vachement en ce moment. Tu sais, avec le mariage du Prince Harry tout ça … Puis moi j’étais dedans y’a six mois alors ça me parle pas mal. » Blablabla. T’es en pilote automatique. T’as un sourire niais sur les lèvres, et tu déblatères des trucs. Ca fonctionne, d’habitude, m’enfin avec Toni, t’es quasiment certaine que ça marchera pas. Puis comme si t’étais dans ton habitude de rentrer direct après avoir terminé un papier, c’est pas comme si des sujets sur la mode, y’en avait des milliers à traiter. « Les Nieves sont toutes des bombes, de maman à Loelia. T’es dedans aussi chérie. » Tu ris. Tu trouvais toutes les femmes de ta famille sublime. Puis toi, tu ne savais que toi que tu étais belle – oui, les mecs te l’avaient assez dits. Belle mais bonne qu’à être belle. Mais ces pensées là, tu les taisais, parce que t’imagines déjà ta petite sœur te lancer des éclairs si tu disais des choses pareilles devant elle. Tu sors quelques trucs à grignoter avant d’aller t’installer avec elle sur le canapé. « Non, pas là. Et pas là de rentrer à mon avis.  En ce moment c’est un peu la folie, il fait rendez-vous sur rendez-vous, il s’voit déjà maire je crois. J’me demande combien de fois par semaine je le verrai quand il le sera d’ailleurs.  » T’es un peu pensive, quand tu dis ça. Ca  te rappelle les photos que t’as envoyé ton ex. Des photos nues de la femme du maire, diffusées partout, ça serait plutôt sympa, hein ? Ca y’est, t’as la panique qui te reprends. « Je … Ca va.  » T’as un peu le souffle court, comme si les mots sortaient pas de ta bouche, alors tu préfères dire que ça va. T’as même pas réouvert ta boite mail depuis tout à l’heure,  t’as peur qu’il t’en envoie d’autres, t’as peur qu’il te menace, te fasse du chantage, t’en sais rien. Mais tout ce que tu sais, c’est qu’il est capable de tout, il a toujours été capable de tout.

@Toni Nieves