consign to oblivion (la coloc)

Il avait envie d'oublier. Il avait envie d'être encore dans ce monde avec Jamie. Mais il n'était pas là. Il était seul, seul avec sa dose, ses doses. Il avait réussi à voler deux autres doses, le chat des rues. Habilement, discrètement. Il en avait besoin. Et il s'injecta la première dose, pour planer, la deuxième pour rêver et enfin la troisième pour oublier. Il n'était plus lui, il était un autre et il volait. Il volait haut. Il planait tellement loin qu'il ne voulait plus rien faire. Il était à l'appart, le même appart dont il avait bien du mal à payer les parts de loyer. Mais il s'en fichait, il volait. Il était dans les étoiles, dans celles que Jamie avait interdit d'y aller. Il n'écoutait plus personne, dans sa constellation. Et dans la réalité, il était couché sur le sol froid, incapable d'atteindre sa chambre et son lit. Les yeux dans le vague, l'âme en peine. C'était comme s'il voulait en finir avec cette vie. Ronny préférait la réalité des étoiles. C'était plus beau. Bien plus beau.Il ne bougeait plus, les yeux mi-clos. Il était peut être allé trop fort cette fois-ci. Peut être beaucoup trop.

c'est l'alarme de son portable qui le tire d'un sommeil trop court dans une piaule trop vaste. ash ouvre difficilement les paupières dans une pénombre bienvenue et reconnaît le luxe feutré et indécent de l'hôtel où il aime échouer quand il a besoin de plus que sa petite gueule d'amour pour baiser une nouvelle conquête aussi vite oubliée que consommée. quatre cent dollars la nuit putain, débités sur un compte en banque en plein naufrage, qui tire sévèrement la gueule depuis qu'il est incapable de freiner ses dépenses ou d'écrire une foutue ligne. lorsque le soleil chasse l'ivresse, il regrette ash, d'être un connard qui vit au-dessus de ses moyens, de ne pas parvenir à se défaire de ses habitudes élitistes de petit artiste gâté, désireux de rattraper vingt piges de privations, de se gaver de vie jusqu'à en crever et qu'importe les conséquences. son portable retentit à nouveau et il le fait taire d'une injure, alors que les draps bruissent à proximité. le problème des lits king size aux matelas divins, c'est qu'on en oublierait presque les corps chauds encore alanguis. ash n'a pas le temps pour ça, il est midi, toni va rentrer d'une minute à l'autre et il a le vague souvenir d'un repas entre colocs ou d'une connerie du genre. la silhouette émerge et il ne lui jette même pas un regard avant de s'enfermer dans la salle de bains. j'ai pas le temps pour ça, ma nana m'attend. c'est faux, un énième mensonge glissé avec un détachement cruel, mais les egos froissés ont tendance à se renfrogner et c'est exactement ce qu'il désire : la putain de paix.
ce à quoi il s'attend moins en sortant de la douche, plus ou moins présentable, c'est au poing vengeur qui vient crever sa lèvre alors qu'il quitte tout juste la salle de bains. mais t'es qui toi putain ? crache-t-il en épongeant le pourpre de sa manche immaculée, avant de viser l'arcade rageusement pour faire pisser le sang. la nana s’époumone face à ses coups qu'il est incapable de retenir, dopé à la mélodie de la chair meurtrie sous ses phalanges. ash n'entend rien, dégueule sa haine sur la gueule de ce type supposé défendre l'ego abîmé de sa gonzesse, et se libère de tout ce qui fait mal. d'ellie, le détonateur juste à côté du coeur qui a fait exploser sa bombe humainé en un seul battement de cils. la fille hurle qu'elle va appeler les flics, et ça suffit à stopper ash, hagard, à bout de souffle, apparemment capable d'esquinter les reins et les gueules à moins de douze heures d'intervalle. ce n'est pas tout à fait sa faute, les plans à trois finissent mal en général.
lèvres et poings en sang, il se casse, ses fringues souillées par les effluves d'alcool de la veille et des constellations vermeilles de ce matin. visage défait, cerné et ensanglanté, il fait peine à voir lorsqu'il franchit enfin le seuil de cette coloc minable. ça pue dans l'appart, ça pue l'humidité des plafonds qui moisissent et les cartons de pizza encore échoués au salon. ça sent surtout l'absence de cuisine et bordel, dans quel monde a-t-il pu imaginer que ronny prendrait du plomb dans la cervelle et initierait sans lui le grand repas qu'ils ont promis à toni en sachant pertinemment qu'aucun ne s'y plierait. ronny putain, t'étais censé faire à bouffer, toni va encore gueuler si y a rien de prêt. et rien de plus casse-burnes qu'une fille hystérique. pas de réponse. aucune âme qui vive dans la cuisine déserte. il soupire ash, le goût métallique de son propre sang en bouche comme flamme pour alimenter son ras-le-bol constant, son spleen organique. j'te jure, je vais t'en coller une. il n'est pas plus fautif que lui en réalité ronny, mais ash n'est plus à une contradiction, l'égoïste patenté trop arrogant pour ne pas être d'une inénarrable mauvaise foi. toujours rien. pas un bruit dans l'appart et ça l'énerve dans tous les cas. s'il est là et n'a rien foutu, c'est encore la preuve du néant qui lui sert d'encéphale. s'il est absent, ça veut dire subir seul les foudres de toni qui n'a même pas demandé ce putain de repas foiré avant même d'avoir débuté. ash avale les pas loin de la cuisine, loin du salon, pour atteindre la chambre minuscule de ronny. qui gît au sol, dans ce couloir sombre et sale. ronny à l'air absent, éteint, ronny au visage blême qui semble déjà mort. l'angoisse explose dans son ventre et c'est son visage à elle, qui se superpose en filigrane. ellie, fantôme sur un lit d'hôpital, belle au bois dormant schrödinger, ni morte, ni vivante, dans un entre deux à lui couper le souffle. il avise la seringue, la shoote d'un coup de pied jusqu'à l'envoyer à l'autre bout du couloir avant de s'effondrer au sol. ronny ? ronny tu m'entends ? putain ronny ?! le môme ne réagit pas et ash aux phalanges tremblantes de rage et de crainte mêlées peine à sentir le pouls fuyant de son abruti de colocataire. les tentatives de l'extraire de son paradis blanc se muent à mesure que sa colère domine. les mots deviennent des claques, et lorsqu'elles n'y suffisent plus, les poings s'abattent sur la chair molle de ses bras aux veines trop visibles. ronny je te jure que si tu reviens pas dans la minute, je vais tellement massacrer ton cadavre que personne le reconnaîtra. la violence comme seule réponse pour maintenir les digues. la haine pour calfeutrer la peur de le perdre, l'angoisse d'être à nouveau le témoin d'une déchéance incontrôlable.
ash n'a pas réussi à sauver eleanor, c'est lui, lui qui l'a guidée dans les abysses attirants jusqu'à l'y perdre, l'égarer, eurydice victime du destin. et putain, s'il est incapable de le sauver, lui, camé envolé sur le carreau, il sait qu'il en crèvera.

T'as passé quelques jours chez tes parents, demandez pas pourquoi, t'en peux juste plus d'la coloc toi. En ce moment, Ronny et Ash te bouffent toute ton énergie, t'as envie d'pleurer constamment, t'es à la limite du mental breakdown. Quand t'as décidé d'faire la coloc, tu pensais que ça serait une bonne idée. Ronny avait l'air cool, et c'est vrai que t'as jamais trop aimé vivre seule. Donc, ouais, forcément, c'était inespéré qu'tu trouves Ronny, et encore plus que vous vous entendiez aussi bien que ça. L'courant a toujours passé entre vous, même s'il passait plus de temps à t'faire chier qu'autre chose. T'as toujours fermé les yeux sur l'fait qu'il s'droguait, et t'as toujours fermé les yeux sur l'fait qu'il payait pas le loyer. Tu l'as couvert, toujours. Parce qu'tu tiens beaucoup à lui, parce que c'est un d'tes amis les plus chers, et qu'tu veux pas le laisser totalement sombrer ; même si t'as conscience qu'il est proche d'la fin. Tu t'es toujours dis qu'il y avait encore de l'espoir, que tout n'était pas perdue. T'as jamais perdue espoir, Toni, c'est pas ton genre d'perdre espoir d'toute façon, pas vrai ? Alors, ouais, t'as toujours tout fait pour l'sortir du trottoir, et t'as jamais bronché quand tu galérais à la fin du mois sous prétexte que t'avais dû payer le loyer pour deux. Quand Ash est venu, t'aurais dû l'sentir l'coup fourré. Il avait clairement l'air à côté d'la plaque, mais c'est ça aussi qui t'as plu chez lui, et tu t'es convaincu que ça ira. Que tout irait bien, qu'il payerait à temps, que ça te soutiendrait, que ça te permettrait d'pas sombrer. Qu'il aiderait Ronny, aussi. Qu'la coloc reprendrait vie, convenablement. Et qu'toi tu pourrais te reposer un peu, te reposer sur quelqu'un, réussir à te stabiliser et à t'occuper d'toi, au lieu de t'occuper des autres à outrance. T'aurais dû l'savoir que ça se passerait pas comme ça. Au final, Ash a sombré tout aussi vite qu'Ronny. Et t'es obligé d't'occuper d'eux, constamment. Faire à manger, nettoyer l'appart histoire qu'il soit pas trop crade, t'occuper d'Dobby, votre chien, et payer, toujours. C'est toi qui paye. T'es presque persuadée que Ronny te pique de l'argent, aussi, un peu. Pourquoi tu t'épuises à t'occuper d'personne qui en ont clairement rien à foutre d'toi ? Pourquoi tu t'obstines à avoir foi en eux, quand tu peux clairement pas leur faire confiance ? Sérieux, Toni, c'est suicidaire, comme attitude. Mais tu continues, quoiqu'il se passe, et tant pis si tu te détruis au passage. Tu les aimes, ces deux cons, tu tiens trop à eux. Alors tu feras ton maximum, et tant pis si tu te perd au passage. Mais là, t'as eu besoin d'un break. Sinon t'allais craquer, sinon t'allais chialer, et t'laisser sur l'bas côté, et tu peux pas. Donc t'as passé quelques jours chez tes parents, et les garçons t'ont promis un bon repas pour quand tu rentrerais. T'as même parlé avec Ash, hier, lui annonçant ton retour le lendemain, et il t'a promit que tout serait fait pour que ton retour se passe bien. Et ça t'as réchauffé le cœur, ça t'as fais espérer, donc forcément t'avais le sourire aux lèvres en rentrant à l'appart. Putain, la gueule de déterrer que t'as eu quand t'as passé la porte, et que rien n'était propre, les garçons introuvable, et toi comme une conne avec ton sac. Puis t'entend vaguement la voix d'Ash depuis l'couloir, et tu te dépêches d'le rejoindre, prête à gueuler. Sauf que voilà, Ronny est au sol, inconscient, et toi, t'es comme une idiote, incapable d'réagir, incapable d'avoir une réaction logique, incapable d'avoir une réaction tout court. Mais faut bien qu'tu t'bouges, alors tu vas chercher un bol, tu l'rempli d'eau froide (pas comme si vous aviez l'eau chaude d'toute façon), et tu te dépêches d'revenir vers l'couloir, afin d'verser l'entièreté du bol sur Ronny. Ça lui apprendra, tiens.

Il aurait bien voulu ne pas se réveiller de ce monde là, il aurait voulu aller différemment, dans ce monde autre qui ne voulait pas de lui non plus. Mais non, on le secouait. Ronny, les yeux lever au ciel, l'enfant perdu du monde. Il ne voulait pas sortir de ce doux rêve qui se transformait peu à peu en cauchemar. Il avait envoyer des messages à Jamie, lui dire que c'était la fin. Mais il ne savait plus ce qu'il lui avait envoyé. Il planait dans la constellation, la tête dans les étoiles, moins brillantes. Lui aussi, il s'éteignait peu à peu. Il ne voulait plus rien. Il était fichu, d'ailleurs il l'avait toujours été fichu. Il fallait voir dans quoi il s'était embarqué. Lui, il ne connaissait pas encore les grandes danses de la vie, celles qui lui promettaient un autre avenir. Lui qui avait déjà menti sur son âge. La vie lui faisait payer tout ça. Et Jamie. Jamie avait été son espoir. Comme s'il avait attrapé un voile léger prêt à se déchirer et qu'il l'entraînait sur la plage à danser avec l'océan. Dans la constellation, il était tranquille. Plus personne ne venait l'embêter. Il pouvait être avec Jamie sans que Jamie ne soit là. Il aimait mieux planer parce que sobre, il était qu'un déchet mis de côté, prêt à être jeter à la poubelle. Et soudain, le réveil choc. Le ciel grondait et la pluie s'abattait sur lui. Ronny avait l'impression d'étouffer, qu'il allait mourir noyé. Il avait du mal à retrouver sa respiration. Et pourtant la constellation laissa place au couloir de l'appartement qu'il squattait plus qu'il ne payait. Ses colocataires à côté de lui. Et Ronny, même pas la vingtaine, au bord de la limite entre la vie et la mort. La danse effrénée que lui proposait la mort avait fait son chemin sans lui. Il tenta de reprendre sa respiration et il se mit à frapper Ash, sans le vouloir. Il le frappait par colère, par le caprice d'un enfant qu'on venait d'empêcher d'accomplir son but.

Foutez moi la paix, merde....

Grogna l'adolescent au visage d'ange. Il était fatigué de tout ça. Il avait beau être amoureux, il enviait le monde de son amour. Lui, il vivait la misère. La colère laissa place au désespoir. Il ne retournerait pas chez les parents ou tous trois allaient mourir ensemble d'une overdose. Il avait fui la drogue, il était en plein dedans. Triste retour du miroir pour le fugueur.

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